Auteur > Sandra Kalniete
Editeur > Les Syrtes
Genre > autobiographie, témoignage
Date de parution > 2001 pour l'édition originale, 2003 pour la présente édition
Titre original > Ar balles kurpēm Sibīrijas sniegos
Nombre de pages > 269
Traduction > du letton par Velta Skujina
Sandra Kalniete, née le 22 décembre 1952 est une femme politique et femme de lettres lettonne
Elle est née à Togour dans la région de Tomsk en Sibérie soviétique où sa famille avait été déportée. Elle a raconté sa terrible enfance dans son livre biographique En escarpins dans les neiges de Sibérie.
De 1987 à 1988, elle fut secrétaire-générale de la Société des Artistes lettons.
Figure de la lutte pour l'indépendance de la Lettonie, elle embrasse la carrière diplomatique à partir de 1990.
Aujourd'hui ministre des Affaires étrangères de Lettonie, elle est également critique d'art, spécialisée dans l'histoire des arts décoratifs et appliqués.
En 2000, elle a publié à Riga ses mémoires sur le Front populaire Je vaincrai, tu vaincras, nous vaincrons, ils seront vaincus. Depuis décembre 2015, Sandra Kalniete, est député Européenne pour la Lettonie.
" Je suis née au goulag le 22 décembre 1952 au village de Togour, district de Kolpachevo, région de Tomsk. Deux fois par mois, mes parents devaient obligatoirement se rendre à la komendatoura pour pointer. Ainsi, les instances de surveillance soviétiques s'assuraient que les déportés n'avaient pas quitté arbitrairement le lieu de relégation qui leur était assigné. Mes parents n'ont pas voulu offrir d'autres esclaves au pouvoir soviétique, je n'ai eu ni frère ni sœur Nous sommes rentrés en Lettonie le 30 mai 1957. "
Juin 1941 : les autorités soviétiques, qui occupent le territoire de Lettonie depuis un an, organisent l'une des plus meurtrières vagues de répression dans le pays en déportant par convois entiers la population civile. C'est le début de l'horreur pour des dizaines de milliers d'innocents qui disparaissent sans laisser de traces dans les immenses étendues glacées de Sibérie, usés par les privations, ou torturés puis exécutés dans les geôles du NKVD. La famille de Sandra Kalniete ne sera pas épargnée. Sa mère, Ligita, a quatorze ans et demi lorsque, le 14 juin 1941, elle et ses parents sont emmenés. Son grand-père Janis est séparé des siens dès leur arrivée en Russie ; il mourra dans l'enfer des camps. La famille de son père Aivars connaîtra le même sort quelques années plus tard.
Sandra est rentrée dans son pays en 1957. Elle n'avait que cinq ans mais jamais elle n'a oublié le regard de sa mère quand celle-ci a pu à nouveau fouler et sentir le sol letton. En escarpins dans les neiges de Sibérie raconte l'histoire bouleversante de sa famille et, à travers elle, celle de tout un peuple qui ne retrouvera sa liberté qu'en 1991, au prix d'énormes pertes humaines et de souffrances imposées par cinquante années d'occupation soviétique.
"Nous sommes assis autour d'une table de fête."
J'ai grandi à la fin de la Guerre froide, et le mot "goulag" m'est familier car mes parents l'employaient pour parler des opposants soviétiques et de leur famille qui étaient envoyés en Sibérie pour y vivre dans des conditions très difficiles sans espoir de retour.
Et c'est ce thème que le livre aborde. L'auteure, Sandra Kalniete, est née dans un camp de relégation et retrace dans ce livre l'expérience aussi douloureuse qu'inhumaine qu'a subie ses parents et ses grands-parents maternels et paternels à la suite d'une arrestation et d'une accusation aussi mensongère qu'arbitraire, en s'appuyant sur les archives soviétiques, des ouvrages d'historiens, et bien sûr les lettres et témoignages des membres de sa famille.
J'ai trouvé également intéressant d'en découvrir davantage sur l'histoire de la Lettonie. Pour être tout à fait franche, je ne connais pratiquement rien aux pays baltes, étant née au moment où ils n'étaient que des satellites de l'U.R.S.S.
J'ai ainsi appris que les Bolcheviks, lors de la 1ère Guerre mondiale, avaient installé des bases soviétiques en Lettonie où ils avaient perpétré de telles horreurs que les Lettons accueillirent les Allemands en 1941 comme des libérateurs. Les Soviétiques se servirent ensuite de cet épisode pour présenter auprès du reste de l'Europe à la fin de la Seconde Guerre mondiale les Lettons comme des fascistes et des antisémites.
Juste avant l'invasion allemande, une première grande déportation est préparée en grand secret par les Bolcheviks, provoquant la surprise des Lettons qui, ayant toujours vécu dans un état de droit, ne pouvaient imaginer l'arrestation d'innocents.
” Amis, connaissances et personnalités en vue disparaissaient. Une tension vigilante se lisait sur les visages. Les rires s'éteignaient ; le poison de la méfiance mutuelle, telle une araignée, tisait une toile qui engluait tout le pays.
(page 34)
En juin 1941, Ligita, la mère de l'auteure, et Emilija, sa grand-mère, sont arrêtées en pleine nuit, quelques jours avant le bal du lycée (les escarpins du titre sont ceux offerts par le frère de Ligita pour cette occasion). Elles sont rejointes par Janis, le grand-père, débusqué dans leur maison de campagne.
On assiste aux conditions inhumaines de leur longue déportation (les Bolcheviks n'ont rien à envier aux nazis) : parquage dans des wagons à bestiaux, promiscuité, épidémie, mort, etc...
A leur arrivée en Sibérie, les femmes sont séparées du chef de famille (Ligita n'apprendra la mort de son père qu'en 1999 alors que le décès était survenu à peine quelques mois après son arrestation). L'auteure nous livre un témoignage terrifiant et poignant sur leurs conditions de vie (ou plutôt de survie) : les corps, affaiblis par la malnutrition et l'absence d'hygiène, sont décharnés, couverts d'abcès purulents, de poux et de vermine. Les seuls vêtements qu'ils portent sont ceux qu'ils avaient sur le dos au moment de leur arrestation et se sont transformés en haillons incapables de les préserver du froid sibérien. Les déportés sont tellement affamés qu'ils n'hésitent pas à manger des charognes de cheval ou des rats crevés.
L'auteure nous décrit "un monde où les souffrances, la famine et la mort étaient quotidiennes" (page 159).
En 1946, un colis de victuailles,de vêtements et de draps envoyé par la famille rescapée les sauvent d'une mort certaine. Les femmes ne peuvent compter sur une amélioration de leurs conditions de vie car elles sont régulièrement transférées d'un lieu de relégation à un autre, leur faisant abandonner leur potager si durement acquis.
Bref, la lecture de ce livre est parfois insoutenable, toujours révoltante. On se demande comment des êtres humains ont pu participer à l'élaboration puis au maintien et au contrôle de ces déportations qui rabaissaient d'autres êtres humains au rang d'animaux. D'autant que la plupart étaient des innocents condamnés arbitrairement comme "ennemi de classe" dans une mascarade de justice, et qu'ils entraînaient dans leur chute toute leur famille.
Appréciation :
” En feuilletant la presse des premiers mois d'occupation, on comprend mieux pourquoi la propagande soviétique n'était pas prise au sérieux. Sa langue de bois, sans aucune adaptation au letton, essayait de répandre les mêmes slogans et archétypes, censés être efficaces, qu'en Union soviétique. Combien étaient ridicules, pour une oreille lettone, les métaphores telles que «Lénine, l'aigle des montagnes» ou «l'Union soviétique, le plus grand pays du monde, Moscou, la plus belle vide au monde» ! On pouvait faire croire cela à l'homme soviétique qui n'avait jamais voyagé et qui sortait à peine de l'analphabétisme, mais pas aux Lettons. A l'époque, la Lettonie occupait l'une des premières places en Europe de par son grand nombre d'étudiants et d'universitaires. (...) De même les manifestations des masses laborieuses, relatées dans les livres d'histoire soviétiques que j'ai dû étudier par la suite, faisaient plutôt penser à une comédie et ne provoquaient que des ricanements chez les habitants de Riga. Mais qui étaient donc ces gens, venus de nulle part et qui, le visage figé sous la férule d'étrangers, défilaient en rangs d'oignons en portant des portraits géants de Lénine, de Staline et d'autres illustres inconnus que les Lettons n'avaient jamais vus ? Ils marchaient dans les rues désertes vers une destination qu'ils étaient seuls à connaître. Comment croire qu'ils exprimaient la volonté du peuple letton quand, au plus profond de soi-même, chacun savait quelle était cette volonté ? Cela ressemblait à une pièce de théâtre absurde : il y avait le régisseur, les premiers rôles et les figurants pour les scènes de foule. Seul le peuple était réduit au rang de spectateur.
(page 31/32)
Ma 3è participation à la 2è édition du challenge de BouQuiNeTTe - séjour en Lettonie
D'autres billets sur la Lettonie : BouQuiNeTTe ♦ missmolko1 ♦ Sharon ♦ Julie ♦ Salhuna ♦
Ce billet est ma 23è participation au challenge d'Helran - cette escale compte pour la Lettonie
Un livre que je ne connaissais pas du tout avant de voir ta chronique mais pourquoi pas ? Un livre d'Histoire, c'est bien, mais un témoignage, c'est encore mieux. Et il y'a des choses que nous ne devrions pas oublier...ce genre de livres est là aussi pour nous les remettre en tête au besoin.
RépondreSupprimerOui, il y avait beaucoup d'aspects que je connaissais déjà mais je ne pensais pas que c'était à ce point inhumain !!
SupprimerÇa doit être une lecture assez éprouvante...
RépondreSupprimerOui, il y avait des passages vraiment très durs et révoltants... Le pire étant la passivité des exécutants qui ne remettent jamais en cause les ordres inhumains de Moscou tant la terreur règne !
SupprimerMerci beaucoup pour toutes ces informations et ces liens... Malheureusement, souvent par opportunisme, les hommes ne tirent jamais de leçons de l'Histoire et la laissent bégayer... En tout cas, l'annexion de la Crimée a dû avoir de douloureuses résonances auprès de peuples ayant déjà souffert des exactions russes...
RépondreSupprimerOula ce roman à l'air très dur mais il a l'air intéressant. Il faut être dans une bonne période pour lire ce genre de roman.
RépondreSupprimerIl est vrai que notre foi en l'humanité prend de plomb dans l'aile... Mais c'est une lecture essentielle je pense...
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