Auteur > Eva Cantarella
Photographie > Alfredo & Pio Foglia
Editeur > Albin Michel
Collection > Beaux Livres
Genre > essai historique
Date de parution > 1998 pour l'édition originale , 2000 pour la présente édition
Titre original > Pompei, I volti dell'Amore
Nombre de pages > 159
Traduction > de l'italien par Daniel Blanchard
(sources : Acte Sud)
Eva Cantarella spécialiste du droit de l’Antiquité grecque et romaine est professeur à l’université de Milan. Elle a également enseigné le droit antique à l’université de New York et à l’université d’Austin, Texas. Ses livres, traduits en plusieurs langues, sont consacrés à l’histoire de la sexualité, à celle de la famille et de la condition féminine ainsi qu’au droit criminel : Selon la nature, l’usage et la loi. La bisexualité dans le monde antique (1991) ; Passato prossimo. Donne romane da Tacita a Sulpicia (1998) ; Ithaque. De la vengeance d’Ulysse à la naissance du droit (2002) ; L’ambiguo malanno. Condizione e immagine della donna nell’antichità greca e romana (2010) ; “Sopporta, cuore…”. La scelta di Ulisse (2010).
"Tu me demandes, Lesbie, combien de tes baisers suffiraient à me rassasier.
Aussi nombreux sont les grains de sable de la Lybie..."
Si Catulle écrivait de merveilleux poèmes à Lesbie, c'est de Pompéi, figée à jamais dans le quotidien d'une journée de l'an 79, que nous parvient la voix simple des gens de la rue. Là, chacun peut visiter des maisons, des ruelles, des chambres, des temples qui nous parlent, dans la langue de leurs habitants, des visages si divers de l'amour. Amour conjugal, amours vénales, amours libres... Eva Cantarella dévoile ici, avec érudition mais simplicité, les aspects les plus intimes, touchants ou étonnants, de la vie de nos semblables il y a dix-neuf siècles.
Les photographies, inédites pour la plupart, parcourent tous les thèmes amoureux qui ont inspiré des fresques et tableautins, statues et figurines, luminaires, tintinnabula et amulettes phalliques, graffiti et terres cuites, et nous donnent à voir dans son détail le monde de l'amour antique.
Pompéi, suite à l'éruption du Vésuve, est devenu un document exceptionnel pour la connaissance du monde romain. L'auteure s'appuie sur les sources iconographiques et épigraphiques pour nous brosser un tableau particulièrement vivant sur la vie amoureuse et sexuelle des Pompéiens.
Graffiti, fresques, mosaïques, statues, jusqu'aux objets les plus courants de la vie quotidienne, témoignent des comportements, des aspirations, des motivations des Romains en matière amoureuse. Les graffiti surtout, qui ornent les murs des rues de Pompéi, offrent un témoignage irremplaçable pour comprendre les sentimenst, les moeurs et l'humour des gens du peuple.
Eva Cantarella découpe son livre en trois parties : l'amour conjugal, l'amour vénal et l'amour libre.
Commençons donc par le moins glamour : l'amour conjugal !
Dans le monde romain, le mariage est une institution sur laquelle reposent la reproduction et la transmission des biens, ce qui implique un contrôle strict de la sexualité féminine, ainsi qu'une différence entre les droits et les devoirs des deux époux (vous m'en direz tant ! je suis prête à parier que le déséquilibre penche en faveur des hommes....)
Pompéi, maison VII,2,6. Portaits en buste de Terentius Neo et sa femme. Ier s. apr. JC
L'épouse étant la seule femme à pouvoir donner des héritiers légitimes, est tenue à la fidélité sous peine de mort (à ce prix-là, l'amant a intérêt à assurer un max !). Caton écrit à ce propos : "Si tu surprends ta femme en train de commettre l'adultère, tu peux la tuer impunément. Si, au contraire, c'est elle qui te surprend, elle ne peut te toucher, fût-ce du bout du doigt" (Gell.,N.A.,X,23,5). Le même châtiment est réservé aux vierges, veuves ou divorcées qui connaîtraient des relations sexuelles hors mariage. Sous Auguste, l'exil vient remplacer l'exécution.
En matière de divorce, celui-ci ne fut pendant longtemps accordé qu'au mari; de plus, jusqu'à l'Empire, les enfants étaient automatiquement confiés au père.
Les rapports conjugaux sont donc déséquilibrés non seulement dans le domaine des devoirs ou celui des divorces mais également dans les cérémonies matrimoniales elles-mêmes. Dans les 1ers siècles de Rome, il existait 2 types de cérémonie : la coemptio (la femme est achetée par le mari) et l'usus (après un an de cohabitation, le mari choisit ou pas de garder sa femme, l'acquérant comme un bien meuble).
autel funéraire avec scène de mariage
Au III è siècle après JC fut introduit un 3è type de mariage qui permettait à la femme de rester dans sa famille d'origine au lieu de rentrer dans celle du mari, ce qui lui assurait une grande indépendance.
Personne ne sera surpris en apprenant que la sexualité matrimoniale était tournée exclusivement vers la reproduction (tiens, ça me rappelle certaines réactions récentes !).
Pour ce qui est de l'affection entre époux, deux thèses s'opposent : celle patriarcale et autoritaire reposant sur les sources juridiques, et celle nucléaire-sentimentale reposant sur les sources épigraphiques. Les sources pompéiennes semblent conforter cette dernière.
Terre cuite. Un couple s'embrasse sur la klinè
Concernant la contraception et l'avortement, seul le mari pouvait en décider la pratique. Une femme qui en prenait l'initiative risquait la répudiation.
Comme on peut s'en douter, la contraception était inefficace. Les femmes utilisaient des tampons de laine imbibés de vinaigre appelés pessaires, et introduits quelques heures avant les rapports puis retirés juste avant pour éviter la fécondation, ou des remèdes oraux à base de racine de fougère, les hommes des préservatifs très peu fiables.
Le latin possède trois mots différents pour désigner le baiser : osculum, savium et basium.
Osculum désigne le baiser sur la bouche entre membres d'une famille (et qui sert accessoirement à contrôler l'haleine de la femme mariée qui n'a pas le droit de boire du vin !^^).
Savium est le baiser de la volupté et du désir amoureux.
Quant à basium, il exprime la tendresse chaste.
Amour et Psyche Galatée et Polyphème
s'embrassant
L'amour vénal offre aux hommes la liberté sexuelle tout en sauvegardant la vertu des femmes destinées au mariage.
La seule contrainte pour les hommes est de faire preuve de virilité, c'est-à-dire d'assumer un rôle sexuel actif, quelque soit le sexe de son partenaire.
La prostitution masculine est, de ce fait, assez répandue.
La prostitution féminine est donc considérée comme indispensable à la sauvegarde de la morale publique. D'ailleurs, un des termes désignant les prostituées est lupa, la louve, qui fait référence au mythe de la fondation de Rome avec Rémus et Romulus, allaités par une louve puis élevés par Larentia qui aurait exercé ce métier vieux comme le monde (finalement, ils ne sont pas si snobs que cela, les Romains !!).
Les prostituées sont reconnaissables à leur tenue : elles portent la toge, vêtement masculin découvrant les genoux, et se teignent les cheveux en rouge.
Les données sociologiques offrent une source peu fiables pour estimer le nombre exacte de prostituées professionnelles car certaines femmes l'étaient occassionnellement pour arrondir leur fin de mois, comme les serveuses ou les actrices, brouillant de ce fait les chiffres réels.
De même, les données archéologiques sont trompeuses. En effet, Pompéi abonde en représentations érotiques (tableautins ou graffiti) qui ne désignent pas forcément un lieu où on se prostitue.
Par contre, grâce aux graffitis, on connaît les tarifs, les spécialités, les noms et les conditions des prostituées. Les tarifs sont très variables. Le minimum est de 2 as (avec 2 as, on peut s'offrir dans les tavernes 1 ou 2 verres de vin !). Jusqu'à 4 as, on reste au bas de l'échelle. Les plus jeunes ou les plus belles demandent entre 8 et 16 as !
Les noms qu'elles se choisissent parfois sont un programme à eux tout seuls : Panta ("tout" en grec) est une promesse de satisfaire n'importe quelle demande; Callidromè (dromos, course de chevaux, kalos, beau) est apparemment experte en l'art de chevaucher son partenaire; Nika ("victoire" en grec) se voulait victorieuse de toutes les batailles d'amour.... Mais il y a également des noms typiquement romains ou grecs n'évoquant aucune prestation exotique.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les lupanars ne sont pas les seuls lieux où on se livre à la prostitution (d'ailleurs, il n'en existe qu'un ou 2 à Pompéi, et 9 cellae meretriciae) : les bâtiments publics servent au racolage comme en attestent certaines inscriptions. "Lahis fellat assibus duobus" (Lahis suce pour deux as - CIL,IV,1969) écrit sur le bâtiment d'Eumachia ou "Hic Lucilla ex corpore lucrum faciebat" (Ici lucilla faisait commerce de son corps) que l'on peut lire sur le palais de justice.
Pompéi,I,9,5. Graffiti au nom de Fortunata
faisant allusion à ses talents de fellatrice.
Si les prostituées sont nettement séparées des femmes honnêtes, une fête en leur honneur leur était spécialement consacrée le 26 avril de chaque année.
Au contraire des femmes mariées qui sont jugées et châtiées à l'intérieur du foyer familier, les prostituées relèvent des tribunaux nationaux.
Les prostituées sont parfois taxées mais cette imposition ne devient régulière qu'au IVè siècle de notre ère.
Les peintures érotiques abondent à Pompéi. L'image érotique la plus représentée est celle de la femme chevauchant l'homme, désignée sous diverses métaphores dans l'Antiquité : Venus pendula, mulier equitans, Hectoreus equus... Or, cette position est jugée blâmable en raison de l'égalité impliquée entre l'homme et la femme (ben, voyons !)
Selon les sources juridiques et littéraires, les prostitués mâles pratiquent des tarifs exorbitants et constituent un objet de consommation de luxe.
Cependant, les sources pompéiennes révèlent une réalité différente et la majorité des prostitués connaîtraient la même misère que leurs consoeurs.
Ils ont également une fête spéciale qui se tient le 25 avril.
A noter que la prostitution d'adultes mâles est frappée d'infâmie. A partir de la période impériale, une répression s'exerce à leur égard, de plus en plus féroce au fil des siècles.
Les prostitués pompéiens offriraient leurs services aussi bien aux hommes qu'aux femmes selon certaines inscriptions : "Fronto plani lingit cunnum" (Fronton lèche la chatte - CIL,IV,2257), mais l'absence d'indication de tarif laisse penser qu'il s'agirait plutôt d'insultes destinées à humilier publiquement son ennemi.
Les lampes. Leur partie supérieure était normalement décorée d'un personnage isolé ou de scènes mythologiques ou relevant de la vie quotidienne. Mais les scènes érotiques étaient également représentées, mettant en scène des couples hétérosexuels, voire homosexuels, et même zoophiles. A noter que l'image n'était pas liée à la fonction de la lampe. La lampe joue un rôle important dans la littérature érotique romaine. La règle voulait que l'on fasse l'amour dans le noir: seuls les prostituées et les libertins transgressaient cette règle. D'où l'importance de la stimulation visuelle dans les rapports amoureux...
Maison du Centenaire,IX,8,3. Tableautin figurant
dans un cubiculum retiré de la maison. Il peut s'agir
d'un couple légitime ou d'amours extra-conjugales.
Le Romain est un homme sexuellement insatiable. En dehors des prostitué(e)s, d'autres choix lui sont offerts. Mais pour comprendre sa sexualité, il faut garder en mémoire que le citoyen reçoit une éducation de conquérant. Il doit s'imposer aux non-Romains par la violence des armes et la force des lois. "Parcere subiectis et debellare superbos" (Epargner les soumis et vaincre les orgueilleux - Enéide,VI,851-853).
Dans sa vie quotidienne, le Romain use de même sur ses esclaves, sa femme, ses enfants, ainsi que dans le domaine sexuel. Comme l'écrit Veyne, sa virilité est "une virilité de viol".
Il impose donc son désir sexuel à son partenaire, mâle ou femelle. Pour cette raison, il ne saurait s'adonner à la fellation ou au cunnilingus, pratiques dégradantes pour un homme viril ! Même durant sa jeunesse, il ne peut se retrouver dans le rôle de soumis (contrairement aux Grecs).
New York, Metopolitan Museum.
Coupe d'argent représentant un rapport entre un homme mûr et un jeune homme.
D'où l'utilité des esclaves.
A part ses esclaves, le Romain peut jouir sexuellement de ses affranchis, puis sous l'influence des Grecs, certains citoyens se mettent à courtiser des garçons libres malgré l'interdiction morale.
Mais les hommes pouvaient également brûler de passions pour des femmes libres, divorcées ou mariées qui défiaient les conventions. A elles étaient réservées les déclarations d'amour enflammées.
Mais en cas de rupture ou de trahison, elles payaient le prix fort de leur liberté en faisant l'objet de libelles humiliants.
Maison du Bel Impluvium,I,9,1. Un homme
attire à lui une femme en train de s'étendre
sur le lit.
Je pourrais écrire encore des lignes et des lignes sur ce livre passionnant illustré par de magnifiques photos : fresques, statues, maisons, lampes,... qui rendent tellement vivants les pratiques ou les fantasmes des Pompéiens disparus il y a 1900 ans ! Si certains tabous ou certaines contraintes sexuelles nous éloignent d'eux, les peines ou les joies d'amour nous en rapprochent ! Les graffitis sont d'ailleurs une source inestimable et surprenante pour mieux appréhender les Romains : écrits par des gens simples, souvent de manière très crues, ou avec humour voire même tendresse ou passion, ils abordent un peu tous les aspects de la vie amoureuse ou sexuelle, avec spontanéité...
Par exemple, les graffiti nous apprennent que l'homme de Pompéi aime à se vanter de ses exploits sexuels (remarquez, ce penchant s'est apparemment transmis de générations en générations...^^) : "Hic futui cum sodalibus" (ici j'ai foutu avec les copains - CIL,IV,suppl.3935); parfois ces fanfaronnades sont teintées de scrupules : "Hic ego cum domina resduto clune peregi, tales sed versus scribere turpe fuit" (Ici j'ai embroché ma femme avec le postérieur à l'air, mais c'est une honte d'avoir écrit ces lignes -CIL,IV,9246); ou se veulent menaçantes : "Pedicare volo" (Je veux lui mettre dans le cul -CIL,IV,2210).
La femme pompéienne n'est pas en reste : elle s'est émancipée, participe comme les hommes à l'activité financière et commerciale de la cité, se fait évergète comme Eumachia. Et dans le domaine amoureux ? Ce sont encore les graffiti qui y font allusion. Apparemment, les femmes n'étaient pas insensibles aux charmes des gladiateurs : "Suspicium puellarum thrax Celadus" (Le thrace Celadus fait soupirer les filles - CIL,IV,4397). Quelques graffitis sont écrits de la main même des femmes. Certains sont raffinés : "Methe Cominiaes Atellana amat Chrestum corde" (Methe, actrice d'Atellana, aime Chrestus de tout son coeur) quand d'autres sont crus et sûrement écrits par une prostituée : "Fututa hic sum" (Ici, je me suis fait foutre)...
Appréciation :
Petit florilège de positions sexuelles sous l'Antiquité (finalement, nous n'avons rien inventé !^^):
De gauche à droite : Maison du Restaurant,IX,5,14. Homme agenouillé sur un lit soulevant légèrement les jambes de sa partenaire | Maison des Vettii,VI,15,1. Tableautin dans une petite pièce adjacente à la cuisine : Chambre à coucher du cuisinier ? Cabinet où le maître venait jouir de son droit sur ses esclaves ? cella meretria ? | Lupanar,VII,12,18. coitus a tergo| Thermes suburbains. Représentation d'un cunnilingus | L'homme debout soutient de ses épaules les jambes de la femme à demi étendue sur le lit; Ovide fait allusion à cette position dans son Art d'aimer.| Couvercle de miroir en bronze avec couple.
Ma 2ème participation au RV de Stephie.
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Ce billet est ma 11è participation au challenge de Soukee.
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