Auteur > Emile Zola
Editeur > Le Grand Livre du mois
Collection > Les trésors de la littérature
Série > Les Rougon-Macquart, tome 3
Genre > classique, roman naturaliste
Date de parution > 1874 dans l'édition originale, 1999 dans la présente édition
Nombre de pages > 290 (614)
(sources : Evene, Bac de français & L'internaute)
Né en 1840, après une scolarité moyenne et trois ans de galère, Emile Zola trouve un emploi dans une librairie grâce auquel il rencontre nombre d'écrivains et se lance dans le journalisme. Mais depuis son adolescence il n'a cessé d'écrire et, en 1867, sort son premier roman, Thérèse Raquin. C'est grâce au cycle romanesque des Rougon-Macquart, grande fresque sociale et familiale, qu'il obtient le succès et le confort matériel. La fin de sa vie est marquée par son engagement républicain et par sa lutte pour la justice. Il a en effet soutenu le Capitaine Dreyfus, victime d'un complot antisémite ; en témoigne l'article célèbre publié dans l'Aurore, J'accuse !. Condamné à un an d’emprisonnement et à 3 000 francs d’amende, il doit quitter la France le 18 juillet 1898. A son retour, en 1899, injurié, radié de l’ordre de la Légion d’honneur, abandonné par une grande partie de ses lecteurs, il meurt asphyxié par le poêle de son bureau en 1902. Une foule rendit hommage pendant ses obsèques à celui qui avait osé mettre en jeu sa notoriété au nom de la morale; parmi eux des mineurs venus spécialement du nord .Grand observateur du sujet humain, Zola développe dans ses romans une analyse "naturaliste" de ses personnages. Citons parmi ses romans les plus connus, L'Assommoir, Nana ou Germinal.
C'est dans les Halles centrales de Paris récemment construites par Baltard que Zola situe le troisième épisode des Rougon Macquart.
Après " la course aux millions " décrite dans la Curée, ce sera la fête breughelienne du Ventre de Paris, sa foule fiévreuse, tourbillonnante et bigarrée, ses amoncellements de victuailles, ses flamboiements de couleurs, ses odeurs puissantes de fermes, de jardins et de marées. Florent, arrêté par erreur après le coup d'Etat du 2 décembre 1851, s'est évadé du bagne de Cayenne après 7 ans d'épreuves.
Il retrouve à Paris son demi-frère qui, marié à la belle Lisa Macquart fait prospérer l'opulente charcuterie Quenu Gradelle. Mais la place de Florent est-elle à leurs côtés ? A-t-il renoncé à ses rêves de justice ? Car si l'Empire a su procurer au " ventre boutiquier, au ventre de l'honnête moyenne,... le consentement large et solide de la bête broyant le foin au râtelier ", il n'a guère contenté les affamés.
"Au milieu du grand silence, et dans le désert de l'avenue, les voitures de maraîchers montaient vers Paris, avec les cahots rythmés de leurs roues, dont les échos battaient les façades des maisons, endormies aux deux bords, derrière les lignes confuses des ormes."
Publié fin 1873, Le Ventre de Paris est le 3ème tome de la fresque sociale Les Rougon-Macquart et met en scène Florent, un idéaliste républicain, arrêté par erreur après le coup d'état du 2 décembre 1851 et qui s'évade du bagne de Cayenne sept ans plus tard pour se réfugier chez son demi-frère, Quenu, qui tient un commerce de charcuterie prospère.
Comme pour La Curée, l'histoire se déroule à Paris, mais cette fois, l'auteur décrit la vie des petits-bourgeois boutiquiers avides d'aisance et de bonne chair après celle de la haute bourgeoisie travaillée par ses appétits de luxe et de pouvoir.
Le titre est une double métaphore faisant d'abord référence aux Halles de Paris où la nourriture est abondante, ensuite à l'absence de coeur des commerçants qui ne sont intéressés que par la satisfaction de leur appétit.
Les Halles, un personnage à part entière :
C'est à travers les yeux d'un Florent abasourdi et perdu que le lecteur découvre les Halles, présentées comme "une machine moderne, hors de toute mesure, quelque machine à vapeur, quelque chaudière destinée à la digestion d'un peuple, gigantesque ventre de métal, boulonné, rivé, fait de bois, de verre, de fonte, d'une élégance et d'une puissance de moteur mécanique" (page 29) et d'où se dégage un sentiment de puissance et de rigidité.
Ces Halles, dont la construction, confiée à Baltard, a débuté en 1854 et s'étale sur 20 ans (donc, inachevée au moment où Zola écrit ce volume), symbolise la modernité. On ressent à travers les descriptions de l'auteur la fascination qu'elles ont exercée sur son esprit puisqu'il consacre un bon quart de son livre sur l'activité foisonnante du marché.
Habilement, Zola nous épargne l'ennui de cette abondance de descriptions en alternant les points de vue. En effet, l'environnement des Halles reflète les émotions ou la personnalité du personnage qui nous guide à travers elles. Ainsi, cet environnement apparaît dès le début hostile à Florent qui ressent en son sein une impression de saturation, amplifiée par les relents de pourriture ou de puanteur qui l'étouffent et l'écoeurent.
Tandis qu'à travers Claude Lantier, le peintre, nous avons une vision extrêmement vivante et colorée de l'endroit, qu'il nous dépeint d'une manière très picturale et où les senteurs des fleurs ou des fruits embaument l'air.
Les Halles apparaissent donc comme un endroit ambivalent, fascinant ou mortifère selon le tempérament de qui les regarde.
Mais les Halles, en dehors de leur structure métallique et de leur animation, apparaissent également comme un être doué d'une vie propre qui avale, digère puis expulse tout corps étranger : "[Florent] poussa violemment la fenêtre, laissa [les Halles] vautrées au fond de l'ombre, toutes nues, en sueur encore, dépoitraillées, montrant leur ventre ballonné et se soulageant sous les étoiles." (page 264)
Florent, une victime sacrificielle :
Dès le premier chapitre, on pressent le destin tragique de Florent . Tout d'abord, le fait qu'il se retrouve rue Montorgueil, là où "une bande de sergents de ville l'avait pris, dans la nuit du 4 décembre" (page 14) sept ans plus tôt, laisse planer un sentiment de malaise et paraît de mauvais augure pour la suite. Cette allusion est l'occasion pour l'auteur de nous dresser un premier flash-back sur le passé de Florent où il est arrêté et condamné de manière arbitraire, échappant de justesse à une exécution sommaire, et de nous faire prendre conscience de la férocité de la répression qui a suivi le coup d'état de 1851.
Florent et la répression de 1851
Ensuite, comme dit précédemment, le quartier des Halles, dans lequel il erre, affolé et perdu, semble le rejeter, préfigurant le sort qu'il lui réserve à la fin du roman. En effet, Florent est perçu par les habitants comme un étranger, dont les traits de caractère (frugalité, timidité, rêve utopiste) si différents des leurs l'excluent d'entrée de jeu.
Et pire que tout, Florent est un maigre, tare physique provoquant suspicion et rejet chez ces commerçants repus de graisse.
La bataille entre les «Gras» et les «Maigres» :
La nourriture est dans ce livre un signe distinctif de richesse. Les Gras, représentés par les commerçants des Halles, n'éprouvent donc que méfiance envers les Maigres, personnalisés par Florent ou Claude Lantier, dont la maigreur est perçue comme la conséquences de leur vices et de leur fourberie supposée. "Il ne peut pas seulement engraisser le malheureux, tant il est rongé de méchanceté." pense Lisa de son beau-frère (page 159).
Lisa sur le pas de sa boutique
Zola utilise cette métaphore des «Gras» et des «Maigres» pour critiquer l'absence totale de fraternité ou d'empathie de cette bourgeoisie favorable à la dictature de Napoléon III juste parce que l'empire garantit la prospérité du commerce. Lisa Quenu explique d'ailleurs fort bien cette philosophie, celle des "honnêtes gens... Je suis reconnaissante au gouvernement, quand mon commerce va bien, quand je mange ma soupe tranquille, et que je dors sans être réveillée par des coups de fusil..." (page 155).
En dehors de ces considérations, ces "honnêtes gens" sont indifférents à l'injustice qui frappe les prolétaires, et plus particulièrement Florent. Le passage où celui-ci raconte ses souffrances et ses humiliations de forçat est d'ailleurs édifiant. Le récit poignant qu'il en fait : "On vivait en bête, avec le fouet éternellement levé sur les épaules. Ces misérables voulaient tuer l'homme..." (page 89) laisse Lisa complètement insensible, provoque au contraire chez elle dégoût et mépris. Progressivement, elle en vient à haïr son beau-frère de peur qu'il ne compromette leur situation et n'apporte la ruine de leur maison. Et pour préserver son confort, Lisa avoue à son mari qu'elle est prête à tout : "je t'avertis que je me débarrasserai de lui carrément... Je t'avertis, tu comprends !" (page 159).
Car dans cette lutte des «Gras» contre les «Maigres», des bien nourris contre les mal nourris, les «Gras» l'emportent toujours sur les «Maigres».
Un monde clos dominé par les femmes :
Deux groupes de femmes apparaissent prépondérants dans ce roman.
D'un côté, nous avons le duo rival formé par Lisa Quenu, surnommée la belle Lisa ou la belle charcutière et par Louise Méhudin surnommée la belle Normande.
De l'autre, le trio friand de commérages formé par mademoiselle Saget, une vieille fille qui orchestre la campagne contre Florent, la Sarriette et sa tante Mme Lecoeur (dont le nom lui sied si mal !) !
Mademoiselle Saget, enragée de curiosité, attise la rivalité entre la belle Lisa et la belle Normande dans le but de découvrir le secret qui entoure l'arrivée mystérieuse de Florent, allant jusqu'à répandre la rumeur que non seulement Florent est l'amant de Lisa mais qu'il l'est également des deux soeurs Méhudin.
Lorsque Florent est entraîné par Gavard, un parent de la Sariette et de Mme Lecoeur, dans une conspiration (inoffensive car il s'avère que les conspirateurs ne sont en fait que des fantoches) contre l'empire, elle n'hésite pas à grossir de mensonges ses médisances, affirmant que Florent aurait tué 6 gendarmes avant d'être envoyé au bagne.
Ce sont ses révélations sur le projet d'insurrection de Florent qui vont précipiter la chute du forçat évadé, entraînant du même coup celle de Gavard dont les 3 commères convoitent le magot.
Une scène m'a particulièrement marquée : celle où les odeurs incommodantes des fromages viennent souligner la nature abjecte des 3 femmes et de leurs propos malveillants. "C'était une cacophonie de souffles infects, depuis les lourdeurs molles des pâtes cuites, du gruyère et du hollande, jusqu'aux pointes alaclines de l'olivet. (...) Cependant, il semblait que c'étaient les paroles mauvaises de madame Lecoeur et de mademoiselle Saget qui puaient si fort." (page 230)
La symphonie des fromages
Comble de l'ironie, la réconciliation finale des deux rivales que sont Lisa et Louise condamne Florent à une nouvelle déportation...
C'est Claude qui commentera, désabusé, le dénouement de l'histoire en s'exclamant : "Quels gredins que les honnêtes gens !"
Les membres de la dynastie au second plan :
Avant d'en finir avec ma chronique, quelques mots sur la place des représentants des Rougon-Macquart. Cette fois, ils passent au second plan, même si Lisa Macquart, épouse Quenu, a un rôle important. Pour rappel, Lisa est la fille de Fine Gavaudan de qui elle tient son goût pour le travail, et d'Antoine Macquart dont elle a hérité le "besoin de bien-être très arrêté", ainsi que la soeur de Gervaise et de Jean, évoqués brièvement dans La fortune des Rougon.
Sa fille Pauline, âgé ici de 7 ans, sera l'héroïne de La joie de vivre, et Claude, l'artiste peintre qui guide Florent à travers les Halles, reviendra dans L'Oeuvre.
Un petit clin d'oeil est fait à Saccard lorque Lisa critique sa manière de vivre et d'amasser sa fortune : "Tenez, j'ai un cousin à Paris... Je ne le vois pas, les deux familles sont brouillées. Il a pris le nom de Saccard, pour faire oublier certaines choses... Eh bien, ce cousin, m'a-t-on dit, gagne des millions. Ca ne vit pas, ça se brûle le sang, c'est toujours par voies et par chemins, au milieu de trafics d'enfer. (...) Je l'ai aperçu, l'autre jour, en voiture; il était tout jaune, il avait l'air joliment sournois. Un homme qui gagne de l'argent n'a pas une mine de cette couleur-là. Enfin, ça le regarde... Nous préférons ne gagner que cent sous, et profiter des cent sous." (page 57)
Cette diatribe est à elle seule une véritable profession de foi et résume la personnalité de Lisa : économe, honnête (elle va jusqu'à proposer à Florent sa part d'héritage), chaste, convenable, ses qualités cachent en fait une hypocrisie doucereuse, un égoïsme et une lâcheté confondants qui en font un personnage terrifiant sous son apparente placidité.
La cruauté dont elle et une poignée de Gras font preuve à l'égard de Florent est à ce titre glaçante... La scène à la Préfecture de Police est d'ailleurs saisissante, où l'on apprend que Florent a été dénoncé par presque tous les habitants du quartier !
J'ai trouvé ce 3ème tome particulièrement pessismiste et désespérant sur la nature humaine : Zola atteint des sommets dans la peinture au vitriol de cette petite-bourgeoisie uniquement préoccupée de son bien-être et de son goût pour la médisance, n'hésitant pas à faire condamner à la déportation deux êtres inoffensifs...
Encore heureux que Claude Lantier et Madame François sont là pour compenser la médiocrité et la pourriture morale de cette classe sociale faussement honnête !
Florent et Claude dans la charette de madame François
Appréciation :
Mes autres avis sur la saga : tome 1 ♦ tome 2 ♦
Crédits images : édition Fasquelle de 1906
page 76 :
"Une grande brune poussait la porte de la boutique. C'était la belle poissonnière, Louise Méhudin, dite la Normande. Elle avait une beauté hardie, très blanche et délicate de peau, presque aussi forte que Lisa, mais d'oeil plus effronté et de poitrine plus vivante. Elle entra, cavalière, avec sa chaîne d'or sonnant sur son tablier, ses cheveux nus peignés à la mode, son noeud de gorge, un noeud de dentelle qui faisait d'elle une des reines coquettes des Halles. Elle portait une vague odeur de marée; et, sur une de ses mains, près du petit doigt, il y avait une écaille de hareng, qui mettait là une mouche de nacre. Les deux femmes, ayant habité la même maison, rue Pirouette, étaient des amies intimes, très liées par une pointe de rivalité qui les faisait s'occuper l'une de l'autre, continuellement. Dans le quartier, on disait la belle Normande, comme on disait la belle Lisa. Cela les opposait, les comparait, les forçait à soutenir chacune sa renommée de beauté. En se penchant un peu, la charcutière, de son comptoir, apercevait dans le pavillon, en face, la poissonnière, au milieu de ses saumons et de ses turbots. Elles se surveillaient toutes deux. La belle Lisa se serrait davantage dans ses corsets. La belle Normande ajoutait des bagues ses doigts et des noeuds à ses épaules. Quand elles se rencontraient, elles étaient très douces, très complimenteuses, l'oeil furtif sous la paupière à demi close, cherchant les défauts. Elles affectaient de se servir l'une chez l'autre et de s'aimer beaucoup."
Lecture commune organisée par Nadou_971.
D'autres billets : Nadou_971 ♦ LeaDelphine ♦ Pampoune ♦ Bibliophile ♦
Ma 3ème participation au challenge de Lili Galipette, George & MissBouquinaix.
Ma 3ème participation au challenge d'AnGee Ersatz.
Le 2ème classique du mois de septembre pour le challenge organisé par Stephie.
Très beau billet !!!!
RépondreSupprimerMerci beaucoup Lili !
RépondreSupprimerJe suis décidément très admirative de la façon dont tu prépares tes articles! Moi aussi j'avais bien aimé ce roman, et c'est vrai de noter le fait que la famille passe un peu au second plan. J'ai particulièrement apprécié ta partie sur les femmes...
RépondreSupprimerBravo et à très vite!
Merci beaucoup AnGee, ton commentaire me touche d'autant plus que j'ai eu beaucoup de mal à commencer ce billet, je m'étais même dit que j'y serais beaucoup moins prolixe que dans les autres vu que je n'arrivais pas à ordonner mes idées... Seulement voilà, une fois la machine lancée, je n'arrivais plus à m'arrêter, j'y ai même passé des heures, et encore j'ai zappé le thème sur les conspirateurs... Il est finalement très inspirant Zola !
RépondreSupprimerJ'ai terminé Le Ventre de Paris, c'était une relecture car j'ai découvert les Rougon-Macquart au lycée et j'avais envie de les reprendre dans l'ordre. Du coup, comme j'ai un peu de temps devant moi en ce moment, je me suis lancée et reprends la saga complète ! J'avais adoré ce tome-là dès ma première lecture et cette impression très favorable s'est confirmée lors de cette seconde lecture. J'aime beaucoup les romans dans lesquels Zola dépeint la vie du peuple, que ce soit en province ou, comme ici, à Paris...et même si les Rougon-Macquart sont finalement présents au second plan, l'histoire tournant surtout autour de Florent, je l'ai trouvé tout à fait intéressant, notamment pour la dénonciation à peine voilée de la société impériale et des inégalités entre riches et pauvres, que Zola ne peut tolérer. L'un des meilleurs de la saga à mon avis. Et comme AnGee, je terminerai ce commentaire en ne disant qu'une chose : c'est un très bel article !
RépondreSupprimerJ'avais également commencé une relecture dans l'ordre (je m'étais arrêtée à Pot-Bouille il y a une 10ne d'années) il y a 1an1/2, mais Nadou_971 qui organisait les LC (ce qui était bien motivant pour avancer régulièrement) a disparu de la blogo... Et maintenant je galère à continuer (il me reste 100 pages à lire de La conquête de Plassans)...
RépondreSupprimerJ'avais déjà beaucoup aimé ce tome-là à ma 1ère lecture, Florent est un personnage poignant, et le traitement qu'il subit est particulièrement révoltant...
Je te souhaite bonne chance pour la suite de la saga et merci pour ton passage sur cet article, ça fait plaisir de lire des commentaires de lecteurs appréciant autant l'écriture de Zola...